Le premier essai de Pierre Henrichon scrute la mathématisation effrénée du monde. Le Big Data, qui réduit nos vies en informations monnayables et en outils de surveillance, l’automatisation du travail ainsi que l’économie de la donnée unissent leurs forces opaques, soutient le président fondateur d’Attac-Québec. Cela au mépris du politique rendu impuissant, de l’intérêt général et des droits sociaux.
Résultat ? La déferlante numérique néolibérale menace nos sociétés de dissolution. Cela provoque « l’amenuisement, voire la suppression, de l’espace politique, l’érosion de la pertinence économique et sociale du travail humain et la destruction de la société comme lieu de mutualisation des activités, des projets et des risques ». Cette dynamique s’opère au profit d’oligopoles formés par les Google et Amazon de ce monde.
Par ailleurs, la triade composée de la cybernétique, du Big Data et du néolibéralisme « a ouvert la voie à une société de surveillance-contrôle sans limites, une marchandisation de la vie privée, une monopolisation outrancière, une concurrence débridée dans tous les aspects de la vie accompagnée d’une précarisation d’un nombre toujours grandissant de personnes et, enfin, un rétrécissement du rôle de l’État. » Constat de plus en plus partagé, ici livré dans une prose limpide.
Des exemples
L’essai repose sur des assises théoriques documentées bien amenées et clairement défendues. Lecture exigeante, certes. Et préoccupante de surcroît. L’auteur étaye en effet sa démonstration de statistiques et d’exemples illustrant les effets néfastes de la « quatrième révolution industrielle » propulsée par la numérisation, l’intelligence artificielle et la mise en réseau.
Analyse de l’évolution des conditions contractuelles de Facebook au fil du temps, modèle d’affaires d’Uber, percées des robots industriels, gestion des attentes et des résultats en santé et en éducation, palmarès à tout vent : Henrichon montre combien les chiffres donnent des ordres au nom de la transparence, de l’efficacité et de la compétitivité.
Et des solutions
Indéniablement, « le monde poursuivra sa trajectoire vers une numérisation toujours plus étendue et approfondie. » Henrichon appelle toutefois au dépassement du « paradigme de l’inévitabilité ». Pour lui, le refus de réduire l’humain à une forme de capital demeure possible.
Des requêtes et des conquêtes restent à faire. L’auteur propose du concret, entre autres, la reconnaissance juridique du « caractère social et collectif des données », l’établissement de règles internationales contraignant les usages de nos informations personnelles, l’encadrement étroit des pratiques des courtiers en données et l’imposition d’une taxe aux entreprises sur l’automatisation du travail.
Tôt ou tard, nos gouvernements devront se défaire de leurs œillères de gestionnaires et considérer ces enjeux complexes. En attendant, « notre tâche collective est claire : participer [aux] mouvances et résistances de manière à nous réapproprier notre avenir ». Un éclairant essai comme celui-ci y incite assurément.
Source: LEDEVOIR